Interview de Nicolas Debon, lauréat du Prix Bulles de Sport 2022

 

- Votre album Marathon vient de gagner le Prix Bulles de Sport 2022, récompensant la meilleure BD de sport de l’année. Que vous inspire cette récompense ?

C’est une surprise, et une vraie source de motivation de se dire que des lecteurs ont apprécié cet album.

- Pouvez-vous nous parler de la naissance et de la réalisation de ce travail ?

Même si j’ai toujours réalisé des temps très modestes, la course de fond a accompagné ma vie d’adulte, m’a fait connaître à certaines occasions des sensations exceptionnelles. C’est pourquoi j’avais depuis longtemps l’envie de réaliser un album sur la course à pied. A un moment donné, l’idée de m’inspirer du marathon olympique de 1928 s’est imposée, en particulier grâce à un athlète algérien courant sous le maillot français, que personne n’attendait à ce niveau, puis qui est tombé dans l’oubli pendant des décennies : El Ouafi Boughéra.

 

                                                                     dessins préparatoires

 - Comment avez-vous envisagé de relever le défi graphique du marathon ? Pourquoi avoir fait le choix de narrer la course uniquement et pas le parcours hors norme de cet athlète ? Comment vous est venue l'idée de la voix off ?

 
Il ne s’agit pas d’une biographie, mais du pari risqué de consacrer l’intégralité de l’album à une épreuve sportive. L’une des difficultés était de garder un souffle, un rythme soutenu et constant, de l’intérêt, car d’un point de vue objectif, il se passe peu de choses. Aussi, il y avait un équilibre à maintenir entre suivre les pas d’El Ouafi Boughéra tout en maintenant un certain suspense... Le narrateur, incarné par un journaliste français qui a réellement suivi la course en autocar, m’a permis d’introduire cette voix off tout en collant au plus près des coureurs.

 
- Comment avez-vous trouvé l'équilibre entre certaines planches muettes et d'autres pleines ?

 

Au départ, j’envisageais de faire dialoguer davantage les coureurs, voire exprimer leurs monologues intérieurs, mais j’ai vite réalisé que c’était trop bavard et que ça sonnait faux... Inversement, les planches muettes m’ont permis de suggérer leur concentration, l’importance des éléments extérieurs tels que le vent, le paysage qui se déroule lentement, les spectateurs. Je pouvais m’attarder sur la foulée des coureurs, leur souffle, la fatigue qui s’installe imperceptiblement au fil des kilomètres...

 

 

                                                         recherches documentaires

 - Pourquoi avoir fait le choix du crayon noir, de la gouache et de 4 couleurs uniquement (blanc, noir, rouge et bleu) ?


J’ai travaillé une première version de planches avec davantage de couleurs, mais je trouvais que cette abondance de tons apportait une distraction qui me semblait inutile. J’ai peu à peu soustrait des teintes jusqu’à parvenir à cette gamme très resserrée, un peu brute.

 

                                                    étude sur la course des marathoniens

 - Un autre titre BD vient de sortir sur El Ouafi et un projet de film est en cours, pourquoi maintenant ?


Force est de constater que les oeuvres inspirées de la vie d’El Ouafi, ce marathonien oublié de son vivant, se sont succédées en l’espace de quelques années. Outre les projets que vous citez, deux romans, de Philippe Langenieux- Villard, et de Fabrice Colin, ont vu le jour en 2016 et 2019. D’un point de vue historique, suite au déchirement de la guerre d’Algérie, peut-être a-t-on longtemps ressenti une gêne à remuer notre passé colonial. Peut-être a-t-il fallu attendre toutes ces années pour pouvoir regarder ce passé avec moins de passions, le revisiter de manière plus objective, plus humaniste.


- Avez-vous lu cette BD "L'or d'El Ouafi" ? Si oui, qu'en avez-vous pensé ?

J’ai eu l’album entre les mains mais ne l’ai pas encore lu. Je n’ai eu connaissance de cet album, dont je n’ai pas encore rencontré les auteurs, qu’une fois le mien terminé : nos avons chacun travaillé dans nos couloirs. C’est toujours étonnant de découvrir un personnage dans l’intimité duquel j’ai aussi vécu de nombreux mois, représenté sous d’autres traits.


- Vous avez réalisé deux autres albums à thématique sportive (Le Tour des Géants et L'Invention du vide), êtes-vous fan de sport ? Si oui, lesquels ?

Comme évoqué plus haut, la pratique à mon modeste niveau des sports d’endurance, la course de fond en particulier, et la marche en montagne, ont accompagné ma vie d’adulte. En tant que spectateur, ou de lecteur, les sportifs de haut niveau m’ont aussi fait ressentir des émotions très fortes. Et la démarche du sportif a beaucoup de points communs avec celle de l’artiste, de l’écrivain dans sa quête de perfection.


- Puisque ce sont des histoires vraies, comment vous documentez-vous sur les lieux, utilisez-vous des archives ou vous déplacez vous sur place ?


                                                              

La documentation sert à former le « terreau » dans lequel va naître chacun de mes albums. Il s’agit souvent d’histoire peu connues, qui ont laissé peu de traces. Je travaille à la manière d’un détective, partant parfois de presque rien : quelques lignes dans un livre, une photo... La direction que vont prendre mes recherches varie en fonction de chaque projet. Il est souvent très intéressant de retrouver des articles de la presse de l’époque. Dans le cas de Marathon, j’ai pu rencontrer deux des nièces d’El Ouafi, que leur famille avait hébergé ; visiter le site des usines Renault, à Boulogne-Billancourt, alors en cours de démolition. C’est extraordinaire lorsque le fil des informations passe par ce canal sensible, humain.


- Quels sont vos BD de sports préférées ?

Je pense notamment aux albums de Lax sur le monde du cyclisme ; et bien sûr le Sommet des dieux, de Taniguchi, en ce qui concerne l’alpinisme. 

 

 


- Est-ce que vous envisagez de travailler de nouveau sur une thématique sportive ?

Sans doute pas dans l’immédiat, car j’aime que chaque album ait un univers unique, me surprenne. Je n’aime pas la redite et j’aurais l’impression de tomber dans une certaine facilité si j’utilisais la même recette à chaque fois. Je préfère attendre d’avoir des choses nouvelles à dire !

                                                
             

- Quels sont vos projets actuels ?

Je travaille sur un nouvel album. Pour le moment, j’ai mis l’histoire du sport de côté, pour m’intéresser à la nature, aux paysages, ceux-là mêmes qui apparaissent souvent en arrière-plan de mes précédentes histoires.


- Considérez-vous que votre style a évolué depuis vos débuts ? Est-ce volontaire, une dérive inconsciente ou une forme de maturité ?

Qu’on le veuille ou non, le style évolue constamment. Même à l’intérieur d’un même album, ceux-ci pouvant me demander plusieurs années de travail, je peux percevoir une légère différence d’approche entre le début et la fin de l’histoire. Pourtant, paradoxalement, certains éléments abandonnés plusieurs années peuvent ressurgir, comme quoi on ne se refait pas !


- Quelle est votre formation ? Autodidacte ou avez-vous fréquenté une école spécifique ?

 


Les deux... J’ai fait mes études dans une école d’art, en Lorraine, dans les années 1980. Mais à l’époque je ne me destinais pas particulièrement à la bande dessinée. Ce n’est que plusieurs années plus tard, via l’illustration jeunesse aussi abordée en autodidacte, que je me suis lancé dans la bande dessinée, sans savoir que j’en ferais on métier.


- Comment trouve-t-on son style de dessin ? Change-t-on de style selon le sujet ?

Comme je suis venu relativement sur le tard à la bande dessinée, j’avais d’emblée un style un peu à part, fait des diverses influences que j’avais pu côtoyer jusque-là : art contemporain, illustration, peinture...

 


- D’après mes recherches et sauf erreur de ma
part, vous avez écrit et dessiné des histoires à partir du réel : pourquoi ce parti-pris ? qu’est-ce qui intéresse dans ces projets ? Avez-vous des projets autour d’histoires inventées ?

D’une part, je crois avoir toujours aimé l’histoire. Adolescent, je rêvais de devenir archéologue. C’est donc, d’une part, le résultat d’une vraie curiosité pour le passé. Et puis, m’intéresser à des événements tirés du réel m’oblige à emprunter des chemins que je n’aurais peut-être jamais parcourus par le seul biais de l’imagination. Ça m’oblige à m’adapter à d’autres systèmes de pensée que le mien, d’autres logiques, sortir de ma zone de confort en quelque sorte.


- Vous avez également publié L’essai en 2015, comment avez-vous connu cette histoire ?

L’Essai s’inspire de l’histoire d’une colonie fondée par un groupe d’anarchistes dans la forêt des Ardennes, dans les années 1900. C’est au détour d’un article consacré à ces communautés qui ont choisi de vivre en-dehors du monde que j’ai découvert son existence. Puis je me suis rendu plusieurs fois sur place. La « clairière des Anarchistes » a totalement disparu, mais la mémoire de cette expérience est encore très vivante dans le village, aidé par le travail d’un groupe d’amateurs passionnés.


 

Merci Nicolas !

 

 


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