vendredi 8 mai 2020

ENTRETIEN : Zelba, auteure de la BD "Dans le même Bateau"


1/ Zelba, votre album Dans le même bateau vient d'obtenir la 2e place du Prix Bulles de Sport 2020, récompensant les meilleures BD de sport de l'année. Bravo ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour ! Alors, en quelques mots... je suis née en Allemagne dans les années 1970 et vis en France depuis un peu plus de 20 ans maintenant, un peu grâce à un échange ERASMUS avec l'École des Beaux-Arts de Saint-Étienne et beaucoup grâce à l'Amour ! J'ai commencé ma carrière en tant qu'illustratrice, beaucoup de commandes et un album jeunesse aux éditions Nord-Sud. Pendant mon enfance et mon adolescence, l'Allemagne n'était pas un terreau bien fertile pour la BD. J'ai découvert le vaste monde des cases et des bulles (et aussi ce qui s'en éloigne) sur le tard, à 30 ans passés. Il m'en a encore fallu de plusieurs années avant d'oser me lancer dans mes propres projets d'album. Actuellement, je travaille sur ma 11ème BD. Bon, là, on est déjà à plus que quelques mots !



2/ Pouvez-vous nous raconter la naissance et l'accomplissement de cette oeuvre ?

Ça faisait longtemps que j'avais envie de raconter cette incroyable expérience que j'aie eu la chance de vivre grâce au sport. Mais l'idée d'un album purement "sportif" ne me tentait pas. Quand, on décembre 2018, je me suis rendue compte que la Chute du mur allait fêter ses 30 ans, 11 mois plus tard, et que cet événement était quand même étroitement lié à mon propre passé de sportive de haut niveau, j'avais trouvé mon angle d'attaque : la petite histoire dans la Grande ! C'était un pari un peu fou parce qu'il ne me restait pas beaucoup de temps, je n'avais ni scénario ni éditeur. J'ai alors commencé à dessiner l'album sans avoir écrit une seule ligne auparavant, construisant le récit au fil des pages sans savoir combien le livre final en contiendrait. Quand j'avais finalisé autour de 25 pages, j'ai envoyé le projet à 2 ou 3 éditeurs avec qui j'avais envie de travailler. Sébastien Gnaedig des éditions Futuropolis (doit-on encore le présenter ?) a été assez fou de vouloir m'accompagner dans cette aventure. Et ce fut une de mes plus belles expériences de réalisation de livre. Comme il n'y avait pas de scénario, je lui ai envoyé à chaque fois une double-page finie. Il a lu ce projet comme un feuilleton. Nous avons d'ailleurs gardé cette façon de travailler pour le prochain livre...

3/ Dans le même bateau est un récit autobiographique, tout est vrai ? Ou y-a-t'il une part de fiction ?

Question plus difficile qu'il n'y paraît. Tous les événements sont vrais, que ce soit pour la petite comme pour la grande Histoire. Tous les personnages existent (à part un seul qui est une composition "amalgame" de plusieurs personnes existantes), toutes les scènes décrites auraient pu se passer exactement comme dans le livre, et beaucoup se sont effectivement passées comme ça. Mais je suis autrice et je raconte une histoire qui remonte à près de 30 ans. Il est donc évident que je ne puisse pas me souvenir des mots exacts employés lors des conversations avec ma frangine, mes ami.e.s, mes parents etc. Il n'est pas impossible que j'aie fait dire des choses à quelqu'un qu'il n'aurait jamais prononcées. Est-ce que cette part d'interprétation fait de mon récit une fiction ? Peut-être que nous pourrions dire qu'il s'agît d'une auto-fiction. Mais il n'y a pas assez de choses inventées dans le livre pour qu'il ne soit pas autobiographique... Vous voyez comme elle est compliquée, votre question ?! Une chose est sûre : l'état d'esprit de l'époque avec toute cette spontanéité adolescente est retranscrit de manière très fidèle dans mon livre, juré craché !

4/ Pratiquez-vous toujours l'aviron aujourd'hui ? Avez-vous toujours des liens avec ce monde ?

Non et non. L'aviron a été une parenthèse que j'ai fermée aussi brusquement qu'elle a été ouverte. Ce sport m'a appris beaucoup de qualités dont je me sers encore tous les jours. Le dépassement de soi, la rigueur, la persévérance, l'entraide aussi. Les liens avec ce monde se sont coupés tout seuls quand je suis partie faire mes études dans une autre ville, puis dans un autre pays. J'ai rencontré beaucoup de gens, j'ai évolué... Mais j'ai eu un malin plaisir à retrouver mon ancienne partenaire de deux sans barreuse, lors de la réalisation de l'album. Elle m'a permise de vérifier et compléter certaines zones floues de ma mémoire.

5/ Avez-vous lu In Waves et Touchées, les autres oeuvres du podium récompensées ? Si oui, qu'en avez-vous pensé ?

J'avoue ne pas encore avoir lu ces deux livres. J'ai beaucoup entendu parler de In Waves et ce que j'ai entendu m'a donné envie de le lire. Mais je suis en train d'écrire et de dessiner une BD qui parle, entre autres, de mort et de deuil. Dans ces cas-là, j'évite la lecture de livres qui traitent de sujets similaires. Pas tellement par peur d'être influencée mais plutôt par peur de me limiter aux sujets dans le sujet que l'autre n'a pas abordés... je ne sais pas si je suis bien claire, ha ha ha !



6/ En tant qu'auteure de BD, quelles sont vos influences ?

Je l'ai évoqué plus haut, je n'ai pas grandi avec des piles de BD de Tintin ou Astérix à côté de mon lit. Forcément, à 30 ans passés, j'ai été attirée par des lectures plus "adultes". La première BD qu'un ami (l'auteur et dessinateur de BD Deloupy) m'a posée dans les mains était Persépolis de Marjane Satrapi. Ce fut une révélation pour moi, car ça ne ressemblait en rien à ce que je pensais être une BD. J'ai lu beaucoup de choses depuis, mais j'ai toujours gardé une préférence pour les récits autobiographiques ou du moins intimistes, plutôt à forte pagination. En gros, ce que l'on appelle les romans graphiques. Quant à mes influences, je pense puiser davantage dans d'autres univers que celui de la BD. Je suis une grande cinéphile, j'aime le théâtre, la musique, l'art contemporain, les contes de fées...



7/ Quels sont vos projets actuels ? Encore quelque chose sur le sport ?

Ah non, surtout rien sur le sport ! J'ai horreur d'être classée dans un tiroir, ha ha ha ! Mais comme il ne faut rien s'interdire, je suis repartie sur un projet d'autofiction, toujours en collaboration avec Sébastien Gnaedig chez Futuropolis. Là encore, il s'agît d'un projet qui mijote depuis plus de 10 ans. Je pense que le moment est venu de l'accoucher. Encore une fois, je travaille sans scénario pré-écrit et me laisse la possibilité d'évoluer l'histoire au fil des pages. Cela me correspond assez bien, j'apprécie beaucoup cette liberté-là. La sortie est prévue pour le printemps 2021, mais j'ignore si le calendrier des parutions va bouger avec tous ces décalages dus au confinement...

8/ Lisez-vous des BD de sport ? Si oui, quelles sont vos préférées ?

Je n'ai pas de sujet préféré quant à mes lectures. A priori, tout peut m'intéresser si c'est bien raconté et que le dessin me parle. Mais j'ai quand même une BD de sport préférée : Le Marathon de New York (à la petite semelle), écrit et dessiné par Sébastien Samson et paru à la Boîte à Bulles. Ce livre est un régal à tout niveau. J'ai aussi beaucoup aimé Ailefroide de Rochette et Le goût du chlore de Bastien Vivès. En parlant de ce dernier, j'ai adoré Polina, mais je ne sais pas si on peut considérer la danse comme sport.

9/ Suivez-vous des sports en tant que fan ? Avez-vous des idoles sportives ?

Non, je suis une piètre spectatrice. Dans le sport (comme dans la plupart des domaines) je préfère être actrice au lieu de regarder faire les autres. Les gros fans de certains sports me font d'ailleurs très peur avec leurs réactions démesurées teintées d'un fanatisme et un d'un chauvinisme dangereux... Les seuls rares matchs de basket dont j'ai été spectatrice bienveillante ont été ceux de mon fils. Mais là aussi, mon malaise était grand quand j'ai vu les réactions de certains parents qui me flinguaient du regard juste parce que j'applaudissais autant les jolis passes et coups des enfants de l'équipe adversaire que de celle de mon fils. Drôle le monde... Je n'ai pas d'idole sportive mais j'ai récemment lu et aimé le livre "Kornelia" (écrit par le journaliste Vincent Duluc) sur la vie de la nageuse d'Allemagne de l'Est Kornelia Ender. Une lecture tout à fait passionnante.

10/ Est-ce que vos albums paraissent en Allemagne ? Comment sont-ils reçus ?

Dans le même bateau sera mon premier livre traduit en allemand. Il paraîtra en ce mois d'août si tout se passe comme prévu. Pour l'instant, je "supervise" les traductions pour ne pas dire que je "surveille" et réécris pratiquement toutes les phrases de la traductrice qui essaie de me sucrer tous mes jolis gros mots ou qui ne saisit pas mes jeux de mots ! Ça ne doit pas arriver souvent à un éditeur de traduire un livre dans la langue maternelle de l'auteur. Et comme il s'agît de l'autobiographie et que ça sera le premier de mes livres que mon papa, ma sœurette et mes ami.e.s allemand.e.s vont pouvoir lire, je veille comme une lionne à ce qu'il soit au plus fidèle de l'original. Comment sera-t-il reçu ? Je n'en sais rien. Qui vivra verra...

11/ Selon vous, comment expliquer cette différence culturelle entre l'Allemagne et la France concernant les BD ? Je connais peu la BD allemande mais j'ai l'impression qu'Outre-Rhin, la BD n'a pas la même importance que dans l'Hexagone...

Je ne suis pas historienne de bande-dessinée et ignore pourquoi le mouvement franco-belge ne s'est pas étendu jusqu'en Allemagne. Mais je pense que la politique du troisième Reich n'y a pas été pour rien... Il y a eu plusieurs précurseurs très talentueux en Allemagne, commencé par Heinrich Hoffmann et son "Struwwelpeter" (Crasse-Tignasse en français). Ce livre d'histoires illustrées (paru en 1845) montre déjà des strips muets dont certains fonctionnent très bien même sans les textes en vers qui se trouvent sur la même page. Ensuite, l'incroyable Wilhelm Busch, poète, écrivain, dessinateur à la plume tendre et mordante, écrit et dessine "Max et Moritz" (paru en 1865). Là aussi, des histoires en vers, des strips muets qui les accompagnent et qui s'approchent déjà d'une forme de bande-dessinée. Dans les années 1930, les strips "Vater und Sohn" (Père et fils en français) du caricaturiste Erich Ohser alias e.o. plauen deviennent très connus en Allemagne. La notoriété grandissante d'Ohser, ses caricatures et propos anti-nazis lui attirent vite la haine du régime. Dénoncé par un voisin, il est arrêté par la Gestapo en 1944 et se suicide dans sa cellule. J'ignore s'il y a un lien direct entre la peur de la liberté d'expression et le développement tardif de la bande-dessinée en Allemagne. Ce retard est certainement amplifié par l'absence d'apprentissage dans les écoles. Pendant très longtemps, les BD ne faisaient pas partie du programme scolaire en Allemagne et sont encore vues par un grand nombre d'adultes comme une sous-branche littéraire réservée aux enfants trop feignants pour lire des livres sans images. J'exagère à peine, j'ai entendu ces mêmes propos dans la bouche de mon père... Quand j'ai démarré mes études, des auteurs comme Ralph König commençaient à sortir de l'ombre. Aujourd'hui, il y a pas mal d'autrices et d'auteurs de BD en Allemagne, mais le public reste frileux et bien plus confidentiel qu'en France.

12/ Quand vous évoquez la Chute du Mur puis la Réunification, trente ans après, quels regards portez-vous sur cette période cruciale pour l'Allemagne ? Vous vous rendiez compte à l'époque de la portée de tout ça ? Et pourquoi avez-vous voulu célébrer ces événements avec votre album "Dans le même bateau" ? J'ai du mal à formuler cette question...mais cette période est assez fascinante, non ?

J'ai essayé de répondre à une partie de ces questions dans mon livre. Il est vrai que, comme la majorité des Allemands et Européens, jeunes et moins jeunes, je n'étais absolument pas consciente de la portée de tout ça. Comment l'être ? Personne n'avait prévu ça sous cette forme et les répercussions ont dépassé l'imaginable. La séparation, et donc la réunification, a touché trop de secteurs différents pour pouvoir appliquer une recette simple. Et pourtant, la recette appliquée a été "désormais, les Allemands de l'Est doivent tout faire comme les Allemands de l'Ouest". Aujourd'hui, avec le recul et les analyses de 30 ans, c'est assez facile de critiquer la manière employée. Je pense qu'à l'époque, chacun a fait de son mieux. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas, nous le savons. Et c'est aussi la raison pour laquelle il y a encore aujourd'hui un certain clivage est-ouest en Allemagne. Mon envie de revenir sur cette époque-là, effectivement fascinante, remonte à plus loin que l'anniversaire approchant des 30 ans de la Chute du mur. Il a été le déclencheur final, mais j'ai nourri depuis longtemps un complexe face à mes lacunes quant à cette période-là de mon pays natal. Je l'ai vécue mais il me manquait quelques années de maturité pour m'intéresser vraiment aux arrières et mécanismes de l'événement. Ensuite, il me manquait la maturité graphique et narrative. Il y a des projets qu'il vaut mieux laisser mûrir un peu et attendre le bon moment. Je dis toujours qu'un projet me choisit plus que je ne le choisis. Eh bien, en décembre 2018, ce projet m'a choisie et je me suis sentie prête. Quant aux lacunes, tout au long de la réalisation de "Dans le même bateau", je me suis documenté en révisant l'histoire, en lisant des analyses et en essayant d'analyser moi-même. C'était assez jubilatoire pour moi. Mon but n'était pas de faire une BD historique, mais il était important pour moi de connaître sur le bout des doigts mes leçons ! ;-)


Merci Zelba pour vore gentillesse et votre disponibilté !

L'équipe du Prix Bulles de sport vous souhaite une pleine réussite pour vos futurs projets.

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