1/ Zelba, votre
album Dans le même bateau vient d'obtenir la 2e place du Prix Bulles de Sport
2020, récompensant les meilleures BD de sport de l'année. Bravo ! Pour
commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour
! Alors, en quelques mots... je suis née en Allemagne dans les années 1970 et
vis en France depuis un peu plus de 20 ans maintenant, un peu grâce à un
échange ERASMUS avec l'École des Beaux-Arts de Saint-Étienne et beaucoup grâce
à l'Amour ! J'ai commencé ma carrière en tant qu'illustratrice, beaucoup de
commandes et un album jeunesse aux éditions Nord-Sud. Pendant mon enfance et
mon adolescence, l'Allemagne n'était pas un terreau bien fertile pour la BD.
J'ai découvert le vaste monde des cases et des bulles (et aussi ce qui s'en
éloigne) sur le tard, à 30 ans passés. Il m'en a encore fallu de plusieurs
années avant d'oser me lancer dans mes propres projets d'album. Actuellement,
je travaille sur ma 11ème BD. Bon, là, on est déjà à plus que quelques mots !
2/ Pouvez-vous
nous raconter la naissance et l'accomplissement de cette oeuvre ?
Ça
faisait longtemps que j'avais envie de raconter cette incroyable expérience que
j'aie eu la chance de vivre grâce au sport. Mais l'idée d'un album purement
"sportif" ne me tentait pas. Quand, on décembre 2018, je me suis
rendue compte que la Chute du mur allait fêter ses 30 ans, 11 mois plus tard,
et que cet événement était quand même étroitement lié à mon propre passé de
sportive de haut niveau, j'avais trouvé mon angle d'attaque : la petite
histoire dans la Grande ! C'était un pari un peu fou parce qu'il ne me restait
pas beaucoup de temps, je n'avais ni scénario ni éditeur. J'ai alors commencé à
dessiner l'album sans avoir écrit une seule ligne auparavant, construisant le
récit au fil des pages sans savoir combien le livre final en contiendrait.
Quand j'avais finalisé autour de 25 pages, j'ai envoyé le projet à 2 ou 3
éditeurs avec qui j'avais envie de travailler. Sébastien Gnaedig des éditions
Futuropolis (doit-on encore le présenter ?) a été assez fou de vouloir m'accompagner
dans cette aventure. Et ce fut une de mes plus belles expériences de
réalisation de livre. Comme il n'y avait pas de scénario, je lui ai envoyé à
chaque fois une double-page finie. Il a lu ce projet comme un feuilleton. Nous
avons d'ailleurs gardé cette façon de travailler pour le prochain livre...
3/ Dans le même
bateau est un récit autobiographique, tout est vrai ? Ou y-a-t'il une part de
fiction ?
Question
plus difficile qu'il n'y paraît. Tous les événements sont vrais, que ce soit
pour la petite comme pour la grande Histoire. Tous les personnages existent (à
part un seul qui est une composition "amalgame" de plusieurs
personnes existantes), toutes les scènes décrites auraient pu se passer
exactement comme dans le livre, et beaucoup se sont effectivement passées comme
ça. Mais je suis autrice et je raconte une histoire qui remonte à près de 30
ans. Il est donc évident que je ne puisse pas me souvenir des mots exacts
employés lors des conversations avec ma frangine, mes ami.e.s, mes parents etc.
Il n'est pas impossible que j'aie fait dire des choses à quelqu'un qu'il
n'aurait jamais prononcées. Est-ce que cette part d'interprétation fait de mon
récit une fiction ? Peut-être que nous pourrions dire qu'il s'agît d'une
auto-fiction. Mais il n'y a pas assez de choses inventées dans le livre pour
qu'il ne soit pas autobiographique... Vous voyez comme elle est compliquée,
votre question ?! Une chose est sûre : l'état d'esprit de l'époque avec toute
cette spontanéité adolescente est retranscrit de manière très fidèle dans mon
livre, juré craché !
4/
Pratiquez-vous toujours l'aviron aujourd'hui ? Avez-vous toujours des liens
avec ce monde ?
Non
et non. L'aviron a été une parenthèse que j'ai fermée aussi brusquement qu'elle
a été ouverte. Ce sport m'a appris beaucoup de qualités dont je me sers encore
tous les jours. Le dépassement de soi, la rigueur, la persévérance, l'entraide
aussi. Les liens avec ce monde se sont coupés tout seuls quand je suis partie
faire mes études dans une autre ville, puis dans un autre pays. J'ai rencontré
beaucoup de gens, j'ai évolué... Mais j'ai eu un malin plaisir à retrouver mon
ancienne partenaire de deux sans barreuse, lors de la réalisation de l'album.
Elle m'a permise de vérifier et compléter certaines zones floues de ma mémoire.
5/ Avez-vous lu In Waves et Touchées, les autres oeuvres du podium récompensées ? Si oui, qu'en avez-vous
pensé ?
J'avoue
ne pas encore avoir lu ces deux livres. J'ai beaucoup entendu parler de In Waves et ce que j'ai entendu m'a
donné envie de le lire. Mais je suis en train d'écrire et de dessiner une BD
qui parle, entre autres, de mort et de deuil. Dans ces cas-là, j'évite la lecture
de livres qui traitent de sujets similaires. Pas tellement par peur d'être
influencée mais plutôt par peur de me limiter aux sujets dans le sujet que
l'autre n'a pas abordés... je ne sais pas si je suis bien claire, ha ha ha !
6/ En tant
qu'auteure de BD, quelles sont vos influences ?
Je
l'ai évoqué plus haut, je n'ai pas grandi avec des piles de BD de Tintin ou
Astérix à côté de mon lit. Forcément, à 30 ans passés, j'ai été attirée par des
lectures plus "adultes". La première BD qu'un ami (l'auteur et
dessinateur de BD Deloupy) m'a posée dans les mains était Persépolis de Marjane
Satrapi. Ce fut une révélation pour moi, car ça ne ressemblait en rien à ce que
je pensais être une BD. J'ai lu beaucoup de choses depuis, mais j'ai toujours
gardé une préférence pour les récits autobiographiques ou du moins intimistes,
plutôt à forte pagination. En gros, ce que l'on appelle les romans graphiques.
Quant à mes influences, je pense puiser davantage dans d'autres univers que
celui de la BD. Je suis une grande cinéphile, j'aime le théâtre, la musique,
l'art contemporain, les contes de fées...
7/ Quels sont
vos projets actuels ? Encore quelque chose sur le sport ?
Ah
non, surtout rien sur le sport ! J'ai horreur d'être classée dans un tiroir, ha
ha ha ! Mais comme il ne faut rien s'interdire, je suis repartie sur un projet
d'autofiction, toujours en collaboration avec Sébastien Gnaedig chez
Futuropolis. Là encore, il s'agît d'un projet qui mijote depuis plus de 10 ans.
Je pense que le moment est venu de l'accoucher. Encore une fois, je travaille
sans scénario pré-écrit et me laisse la possibilité d'évoluer l'histoire au fil
des pages. Cela me correspond assez bien, j'apprécie beaucoup cette liberté-là.
La sortie est prévue pour le printemps 2021, mais j'ignore si le calendrier des
parutions va bouger avec tous ces décalages dus au confinement...
8/ Lisez-vous
des BD de sport ? Si oui, quelles sont vos préférées ?
Je
n'ai pas de sujet préféré quant à mes lectures. A priori, tout peut
m'intéresser si c'est bien raconté et que le dessin me parle. Mais j'ai quand
même une BD de sport préférée : Le Marathon de New York (à la petite semelle),
écrit et dessiné par Sébastien Samson et paru à la Boîte à Bulles. Ce livre est
un régal à tout niveau. J'ai aussi beaucoup aimé Ailefroide de Rochette et Le
goût du chlore de Bastien Vivès. En parlant de ce dernier, j'ai adoré Polina,
mais je ne sais pas si on peut considérer la danse comme sport.
9/ Suivez-vous
des sports en tant que fan ? Avez-vous des idoles sportives ?
Non,
je suis une piètre spectatrice. Dans le sport (comme dans la plupart des
domaines) je préfère être actrice au lieu de regarder faire les autres. Les
gros fans de certains sports me font d'ailleurs très peur avec leurs réactions
démesurées teintées d'un fanatisme et un d'un chauvinisme dangereux... Les
seuls rares matchs de basket dont j'ai été spectatrice bienveillante ont été
ceux de mon fils. Mais là aussi, mon malaise était grand quand j'ai vu les
réactions de certains parents qui me flinguaient du regard juste parce que
j'applaudissais autant les jolis passes et coups des enfants de l'équipe
adversaire que de celle de mon fils. Drôle le monde... Je n'ai pas d'idole
sportive mais j'ai récemment lu et aimé le livre "Kornelia" (écrit
par le journaliste Vincent Duluc) sur la vie de la nageuse d'Allemagne de l'Est
Kornelia Ender. Une lecture tout à fait passionnante.
10/ Est-ce que
vos albums paraissent en Allemagne ? Comment sont-ils reçus ?
Dans
le même bateau sera mon premier livre traduit en allemand. Il paraîtra en ce
mois d'août si tout se passe comme prévu. Pour l'instant, je
"supervise" les traductions pour ne pas dire que je
"surveille" et réécris pratiquement toutes les phrases de la
traductrice qui essaie de me sucrer tous mes jolis gros mots ou qui ne saisit
pas mes jeux de mots ! Ça ne doit pas arriver souvent à un éditeur de traduire
un livre dans la langue maternelle de l'auteur. Et comme il s'agît de
l'autobiographie et que ça sera le premier de mes livres que mon papa, ma
sœurette et mes ami.e.s allemand.e.s vont pouvoir lire, je veille comme une
lionne à ce qu'il soit au plus fidèle de l'original. Comment sera-t-il reçu ?
Je n'en sais rien. Qui vivra verra...
11/ Selon vous,
comment expliquer cette différence culturelle entre l'Allemagne et la France
concernant les BD ? Je connais peu la BD allemande mais j'ai l'impression
qu'Outre-Rhin, la BD n'a pas la même importance que dans l'Hexagone...
Je
ne suis pas historienne de bande-dessinée et ignore pourquoi le mouvement
franco-belge ne s'est pas étendu jusqu'en Allemagne. Mais je pense que la
politique du troisième Reich n'y a pas été pour rien... Il y a eu plusieurs
précurseurs très talentueux en Allemagne, commencé par Heinrich Hoffmann et son
"Struwwelpeter" (Crasse-Tignasse en français). Ce livre d'histoires
illustrées (paru en 1845) montre déjà des strips muets dont certains
fonctionnent très bien même sans les textes en vers qui se trouvent sur la même
page. Ensuite, l'incroyable Wilhelm Busch, poète, écrivain, dessinateur à la plume
tendre et mordante, écrit et dessine "Max et Moritz" (paru en 1865).
Là aussi, des histoires en vers, des strips muets qui les accompagnent et qui
s'approchent déjà d'une forme de bande-dessinée. Dans les années 1930, les
strips "Vater und Sohn" (Père et fils en français) du caricaturiste
Erich Ohser alias e.o. plauen deviennent très connus en Allemagne. La notoriété
grandissante d'Ohser, ses caricatures et propos anti-nazis lui attirent vite la
haine du régime. Dénoncé par un voisin, il est arrêté par la Gestapo en 1944 et
se suicide dans sa cellule. J'ignore s'il y a un lien direct entre la peur de
la liberté d'expression et le développement tardif de la bande-dessinée en
Allemagne. Ce retard est certainement amplifié par l'absence d'apprentissage
dans les écoles. Pendant très longtemps, les BD ne faisaient pas partie du
programme scolaire en Allemagne et sont encore vues par un grand nombre
d'adultes comme une sous-branche littéraire réservée aux enfants trop feignants
pour lire des livres sans images. J'exagère à peine, j'ai entendu ces mêmes
propos dans la bouche de mon père... Quand j'ai démarré mes études, des auteurs
comme Ralph König commençaient à sortir de l'ombre. Aujourd'hui, il y a pas mal
d'autrices et d'auteurs de BD en Allemagne, mais le public reste frileux et
bien plus confidentiel qu'en France.
12/ Quand vous
évoquez la Chute du Mur puis la Réunification, trente ans après, quels regards
portez-vous sur cette période cruciale pour l'Allemagne ? Vous vous rendiez
compte à l'époque de la portée de tout ça ? Et pourquoi avez-vous voulu
célébrer ces événements avec votre album "Dans le même bateau" ? J'ai
du mal à formuler cette question...mais cette période est assez fascinante, non
?
J'ai
essayé de répondre à une partie de ces questions dans mon livre. Il est vrai
que, comme la majorité des Allemands et Européens, jeunes et moins jeunes, je
n'étais absolument pas consciente de la portée de tout ça. Comment l'être ?
Personne n'avait prévu ça sous cette forme et les répercussions ont dépassé
l'imaginable. La séparation, et donc la réunification, a touché trop de
secteurs différents pour pouvoir appliquer une recette simple. Et pourtant, la
recette appliquée a été "désormais, les Allemands de l'Est doivent tout
faire comme les Allemands de l'Ouest". Aujourd'hui, avec le recul et les
analyses de 30 ans, c'est assez facile de critiquer la manière employée. Je
pense qu'à l'époque, chacun a fait de son mieux. Mais les bonnes intentions ne
suffisent pas, nous le savons. Et c'est aussi la raison pour laquelle il y a
encore aujourd'hui un certain clivage est-ouest en Allemagne. Mon envie de
revenir sur cette époque-là, effectivement fascinante, remonte à plus loin que
l'anniversaire approchant des 30 ans de la Chute du mur. Il a été le
déclencheur final, mais j'ai nourri depuis longtemps un complexe face à mes
lacunes quant à cette période-là de mon pays natal. Je l'ai vécue mais il me
manquait quelques années de maturité pour m'intéresser vraiment aux arrières et
mécanismes de l'événement. Ensuite, il me manquait la maturité graphique et
narrative. Il y a des projets qu'il vaut mieux laisser mûrir un peu et attendre
le bon moment. Je dis toujours qu'un projet me choisit plus que je ne le
choisis. Eh bien, en décembre 2018, ce projet m'a choisie et je me suis sentie
prête. Quant aux lacunes, tout au long de la réalisation de "Dans le même
bateau", je me suis documenté en révisant l'histoire, en lisant des
analyses et en essayant d'analyser moi-même. C'était assez jubilatoire pour
moi. Mon but n'était pas de faire une BD historique, mais il était important
pour moi de connaître sur le bout des doigts mes leçons ! ;-)
Merci Zelba pour
vore gentillesse et votre disponibilté !
L'équipe du Prix
Bulles de sport vous souhaite une pleine réussite pour vos futurs projets.
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